Le psychiatre Jean-Pierre Klein, constatant les limites de la psychothérapie classique, basée sur l’introspection et le langage verbal, a embauché des artistes dans son service dès 1973.
Jean-Pierre Klein est psychiatre et fondateur de l’Inecat (Institut national d’expression, de création, d’art et transformation). Il vient de publier Initiation à l’art-thérapie. Découvrez-vous artiste de votre vie (Éditions Marabout).
LE FIGARO. – Vous êtes l’un des pionniers de l’art-thérapie en France. Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette approche?
Jean-Pierre KLEIN. – Psychiatre pour enfants et adolescents à l’hôpital de Blois, j’avais vite constaté les limites de la psychothérapie classique, reposant sur l’introspection et le langage verbal, avec ces patients. Dans les cas de secrets de famille, d’enfants abusés ou de troubles de la personnalité, je leur demandais plutôt de dessiner «quelque chose»… Pas des dessins figuratifs de leur famille, mais plutôt inventifs et à partir desquels je leur disais: «Raconte-moi une histoire.» Peu à peu, je me suis rendu compte qu’on traitait leur problème sans jamais le dire. C’est cela, le propre de l’art-thérapie: elle guérit «mine de rien» et permet de se libérer de ce qu’on ne peut affronter de face. Peu à peu, j’ai élargi ses formes, avec les marionnettes, la photographie et j’ai embauché des artistes dans mon service dès 1973…
Et quel est le rôle de l’art-thérapeute dans ce processus?
Souvent, l’accompagnement seul suffit, car le patient passe d’une position passive à une intervention active, en inventant à partir de ce qu’il vit de terrible. Il expérimente une rencontre énigmatique avec ses propres productions et on arrive là aux limites de la parole et du témoignage. Mais l’art-thérapeute est celui qui connaît l’art de l’intérieur. Il peut donc aider la personne à aller plus loin dans sa création. Souvent, il est formé à une discipline de choix (peinture, danse, théâtre, musique, écriture…), mais j’encourage ces art-thérapeutes – qui pratiquent en séance individuelle – et ces médiateurs artistiques – dans les collectivités – à connaître plusieurs arts afin de pouvoir croiser ceux-ci, et toujours se mettre en danger d’apprendre de nouvelles techniques. Ce qui est intéressant, c’est que le transfert, si nécessaire en psychothérapie entre les deux personnes, se déplace ici sur la production artistique: certains patients se mettent à frapper, agresser une pièce d’argile sur laquelle ils travaillaient… Des pulsions qui s’adressent en réalité au thérapeute.
Aujourd’hui, l’art-thérapie semble trouver un nouveau souffle. Qu’en pensez-vous?
Je trouve formidable que l’art-thérapie, à travers les médiations artistiques, rentre dans les services de soins palliatifs, de malades d’Alzheimer, les prisons, les centres de traitement contre les addictions, les quartiers à violences. Le Théâtre de la Ville et le Musée d’art moderne à Paris, notamment, nous ont demandé des formations autour de l’accueil des personnes autistes… Mais je suis vigilant sur le danger qui plane sur notre démarche: la tendance à vouloir, à partir d’elle, faire de la psychanalyse appliquée. Certains n’hésitent pas à interpréter de «manière sauvage» un dessin, une histoire inventée. Sous prétexte d’avoir lu Freud, ils se lancent à dire: «Tu n’as pas résolu ton Œdipe avec ta mère» et autres formules définitives qui n’ont rien à voir avec notre approche ; l’art-thérapie n’est jamais du rentre-dedans mais comme de la médecine douce.
Qu’est-ce qui, selon vous, fait la spécificité de cette approche?
Que la personne devienne pleinement actrice d’un processus de production artistique. Car alors elle sera aussi active dans sa vie. Et libre, car en art-thérapie, on suit un cadre contraignant, avec des consignes précises, qui permettent paradoxalement à chacun de toucher à sa liberté. C’est très cadré comme exercice! Mais c’est incroyable comme chacun peut exprimer des formes singulières dans une situation d’improvisation. Ainsi, on peut jouer un rôle pour déjouer ses tourments.